La triste histoire d'une petite souris

Publié le par Serge Baumann

La triste histoire d’une petite souris

(L'histoire se  passe avant la dernière guerre mondiale)

Comme je l’ai déjà dit dans plusieurs de mes écrits, la maison où je suis né et où j’ai grandi jusqu’à l’âge de 15 ans, était de construction fort ancienne. Les pierres qui la composaient avaient probablement étaient prélevées dans les carrières de pierres meulières qu’on trouvait sur le territoire de la commune, bien qu’aucun indice ne fût à même de le confirmer. Comme les murs étaient très épais, on pouvait supposer qu’elles avaient été assemblées avec un matériau tendre comme de l’argile, ou fragile comme le plâtre qui en garnissait la surface des deux côtés. C’était donc une construction modeste qui avait certainement été édifiée par des personnes d’humble condition et de surcroît habitués aux travaux des champs à en juger par le choix de la situation, à l’entrée d’une campagne couverte de vergers et de potagers

La triste histoire d'une petite souris

Le confort n’était certes pas d’un niveau très élevé mais il était satisfaisant pour l’époque. Nous n’étions d’ailleurs pas les seuls à nous en accommoder car de petits hôtes fort incongrus s’y étaient invités sans le consentement de mes parents. La présence dans la structure des murs de matériaux plus tendres que la pierre, avait favorisé l’installation de nids de souris, notamment dans la cage de l’escalier qui menait à la chambre à coucher. On pouvait en observer les entrées, anciennes ou récentes, sous le rebord en bois de quelques marches. Mon père avait beau reboucher ces trous et installer des tapettes à proximité, on retrouvait souvent des traces laissées par ces petits mammifères, le matin au réveil.

Mes parents pestaient contre leur présence peu hygiénique qui leur imposait de surcroît, de s’assurer avant de monter se coucher, que tous les restes de nourriture susceptibles de les attirer, était bien mis à l’abri en lieu sûr.

Alors, quand la présence d’une souris avait été repérée grâce à l’apparition d’un nouveau trou dans une marche ou par la présence d’une trace quelconque, mon père attendait, le soir venu, que ma mère et moi soyons déjà montés dans notre chambre pour garnir une tapette de pain ou de fromage, et la tendre devant le trou ou à proximité des traces relevées. Si le piège avait bien fonctionné pendant la nuit, mon père annonçait fièrement au réveil la prise de l’animal dont il brandissait le cadavre comme un trophée, avant d’aller le jeter dans la poubelle laissée dehors, au fond de la cour.

 

Mais un soir pas comme les autres, il se passa quelque chose d’insolite. C’était à la mauvaise saison quand la nuit tombe de bonne heure, à une époque où je n’étais encore qu’un enfant unique, âgé de 4 ou 5 ans.  Nous étions en train de dîner. Mon père occupait comme d’habitude un des quatre côtés de la table tandis que ma mère et moi-même étions assis face à face, des deux côtés voisins de celui de mon père. La soirée se déroulait paisiblement, mes parents profitant de ce moment de détente pour échanger les nouvelles du jour et prendre des décisions d’intérêt familial.

Soudain, le regard de mon père se figea, les yeux fixés à droite sur le carrelage de la pièce, entre la porte d’accès à l’escalier, située derrière lui, et la chaise occupée par ma mère. Il y eut un instant de silence durant lequel ma mère et moi l’observèrent avec étonnement. Puis, comme ma mère portait à son tour ses regards dans la même direction que ceux de mon père, je me demandai alors ce qui pouvait bien les intriguer à ce point. Malheureusement, de la place que j’occupais, ma petite taille ne me permettait pas de voir ce qui se passait de l’autre côté de la table. Enfin, voyant mes parents se lever doucement de leurs chaises pour se rapprocher délicatement de l’endroit qui m’intriguait, je descendis de la mienne avec précaution et j’allais les rejoindre.

Ce fut alors que j’aperçus une petite souris qui trottinait paisiblement sur le sol, s’arrêtant ici et là, observant à droite et à gauche ce qui pouvait lui paraître intéressant, comme un touriste qui découvre une région inconnue. Nous formions maintenant un cercle autour d’elle, figés et silencieux pour ne pas l’effrayer. Du temps passa sans qu’elle parût décidée à s’éloigner quand, soudain, quelque chose d’inattendu se produisit dans ma tête. D’un mouvement vif, je levai mon pied droit et j’écrasai d’un violent coup de talon, la petite souris qui n’eut pas le temps de souffrir.

Mes parents explosèrent d’indignation puis ils m’adressèrent de sévères reproches pour avoir commis ce geste meurtrier. Je dus me justifier à leurs yeux. Alors, avec mes mots d’enfant, je leur expliquai que je n’avais pas compris pourquoi, eux qui pestaient toujours contre les souris, étaient restés inertes devant celle-ci et que sans ma réaction, elle aurait fini par nous échapper. Je persistais donc à penser que j’avais agi sagement.

Je ne compris que plus tard, quand j’eus une meilleure connaissance de l’âme humaine, que mes parents avaient été pris de compassion pour ce petit animal confiant et sans défense. Mais, pour être tout à fait sincère, je n’eus jamais de remord car en agissant comme je l’avais fait, j’avais permis à cette innocente créature, de ne pas périr plus tard dans d’horribles souffrances sous le ressort d’une tapette.

Le matin suivant, les restes de la pauvre bête allèrent rejoindre dans la poubelle extérieure, ceux de ses congénères qui s’y trouvaient déjà.

 

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